Après cette introduction musicale, je porte ici attention à un chanteur ambulant, enregistrant – si l’on peut dire - des chansons comme autant de photographies qui sont une source d’informations sur le monde de la rue, aujourd’hui.
On aimerait croire qu’il subsiste encore ici où là des centres humains à la conscience aiguisée. Il en existe encore, de tous petits, certes, mais les plus importants, déambulant dans des rues qui ne se terminent nulle part et n’ont de vie que parce que Dieu l’a voulu… et rejetés par les hommes.
Dominique BENIGUET
Il y a lieu de tenir compte de son répertoire aux tendres grivoiseries de cabaret de la mère Grégoire, entre Carmagnole et crincrin de métro.
Cette pratique historique a évoluée et ignore elle-même sa valeur fonctionnelle, c'est-à-dire symbolique. « La complainte du clandestin » et « Le blues du marron » chantées par un descendant de rapatriés d’Algérie, ivre de souvenirs et de notations populaires, tout en impulsions et en naïveté de l’objectivité artistique, est essence de la vie humaine de bon nombre de nos compatriotes.
Ici et là souvenir d’un chemin parcouru et petites banalités sont glissés à des passages inattendus. Présence de ponctuations par le vide, ce cruel vide qui nous étouffe, mots « bourrés » qui tendent la respiration de l’auditeur, et, désespérément, donnent le ton.
Ce désespoir au cœur, exprimé avec humour, résigné à ne plus rien attendre, ne risque pas de vous endormir ! L’ensemble est serré, ironique, triste, attirant la sympathie vers celui qui aux yeux de tous « gaspille » son énergie pour cinq euros de l’heure, debout par tous les temps, sans endroit ou aller n’ayant ni haut ni bas, ni envers ni endroit.
Pensées intestinales, viscérales, pensées populaires en activité, qui ont goûté, palpé, la mesure extérieure des rues de nos villes dans lesquelles chacun vit pour soi.
Y a-t-il œuvre d’art là dedans ? Non, il y a gnose qui s’explique par elle-même en suites associatives en dépit d’une clarté musicale volontairement troublée.
Labraille ne fera aucun effort pour se recommander ! Il est basé sur son objet : notre société. Notre société l’a-t-il lui, recommandé ?
Solitude sans pareil des immigrés de la seconde génération, sans témoins, confrontés à la sottise moderne.
Il ne cherche pas, Labraille, un public instruit et intelligent : il tape sur les nerfs sans le moindre égard, indépendant, dans et avec ses viscères. Des rêves de pot-au-feu familial devant l’égoïsme glacé, du ténébreux chaotique, exposition de la rengaine d’une médiocre comédie humaine « sans tambour ni trompette » et jamais – au grand jamais – de pensée destructrice élevée au rang de fin en soi.
Mélancolie du réalisme, tendance à la grotesque objectivité, aliénation du réel qui lui, est étranger. Phénomène collectif des Pogues aux VRP, il n’y à là rien de nouveau en principe. Mais avec Labraille l’auto destruction de la personnalité est architecture. Son expression demande considération causale sur l’histoire même du genre. Il est donc permis d’y voir valeur et sens positif en admettant que cette purge artistique se place volontairement sur le déclin par une non-technicité presque scientifique, telle la réalité sous le nez de nos contemporains.
Il est vrai cela peut laisser indifférent le plus grand nombre.
Mais, paradoxalement, l’effet est universel, universel car explosif en tant que représentation de certaines classes de populations dans un isolement hermétique.
Mais la réalité demeure, la vraie vie qui emprisonne l’esclave en morale est ici destinée aux geôliers par un protestataire destiné à la protestation. Notre prétendue humanité a, avec Labraille, son petit prophète sympathique, petit prophète aux mauvaises manières d’un peuple oublié - Labraille est d’origine kabyle - qui gît caché, enclos en lui-même mais aux secrets en dehors de lui.
On aimerait croire qu’il subsiste encore ici où là des centres humains à la conscience aiguisée. Il en existe encore, de tous petits, certes, mais les plus importants, déambulant dans des rues qui ne se terminent nulle part et n’ont de vie que parce que Dieu l’a voulu… et rejetés par les hommes.
On se sent dans ses vibrations d’odieux croûtons, et cela vous retape dans un vaste bordel qui est ce soi à la recherche lunaire, sur un chemin de croix qui s’enfuit vers l’indiscernable.
Le genre Labraille ne s’explique pas en termes susceptibles de fournir une aide précieuse à son devenir. Mais son activité est une aide précieuse pour la compréhension de l’activité symbolique individuelle d’aujourd’hui. Le phénomène est dans la réception de sa manifestation, phénomène non destiné à la postérité et pourtant phénomène séculaire dans l’ombre de chaque individu.
Il me faut me limiter à ces considérations : « le mendiant avec un bâton dans la main gauche » dessin de Francisco de Goya, que vous retrouverez ci-dessous, mendiant recroquevillé en point d’interrogation, portant le bâton de ceux qui ont été obligé d’abandonner leurs terres, vous inspirera certainement plus que mes mots, en écoutant enfin, Labraille.
Dominique BENIGUET
Le Blues d'un marron
La complainte d'un clandestin
Mendiant avec un bâton dans la main gauche - Dessin - Francisco de Goya
https://www.facebook.com/LaBraille